Il y a quelques jours, en parcourant un numéro du journal Le Temps, mon attention a été attirée par un article évoquant l’affaire de divorce d’un couple richissime. Je ne suis pas amateur de presse people. Les premières lignes de l’article m’ont pourtant incité à lire la suite : « Ils vivent entre Paris, New York, Gstaad et Monaco. Partout et nulle part. Ils collectionnent les toiles de maîtres, fréquentent les foires d’art contemporain et les soirées mondaines, se déplacent en jet privé. » Ce n’est pas l’avion privé qui m’a interrogé, mais le « partout et nulle part », un nomadisme de luxe, d’ailleurs au cœur du sujet : selon l’endroit où le divorce sera prononcé, les conséquences financières seront très différentes pour la future ex-épouse. Pour prouver où le couple vit vraiment, les deux parties étalent devant la justice le nombre de paires de chaussures, sacs à main et vêtements dans le dressing de Madame dans chacune des quatre villes où le couple en rupture possède une résidence.
En avion privé ou pas, je me suis demandé comment mener une existence aussi nomade ? Et, surtout : où se trouve leur bibliothèque ? Apparemment, celle-ci n’est pas un argument pour prouver le véritable lieu de résidence des intéressés. Pour moi, ce serait la meilleure des preuves : là où sont mes livres, là se trouve le centre de ma vie. Je doute que ces personnages possèdent les mêmes livres à quadruple, avec un exemplaire dans chacune des résidences… Il est certes possible qu’ils soient bibliophiles, même si l’article ne le mentionne pas. Ou ce couple mène-t-il une vie sans véritable bibliothèque ?
Probablement la majorité des lecteurs de l’article n’ont-ils pas pensé à se poser la question. Et chacun vit comme il l’entend : il y a des passions aussi légitimes (et moins envahissantes) que les livres. L’article cité ne me sert qu’à illustrer une réflexion, au-delà du cas particulier. Pour celles et ceux d’entre nous dont la vie quotidienne est entourée de rayons de livres, de piles de revues volumineuses et de tentateurs catalogues d’éditeurs ou d’antiquariats, il est difficile de comprendre une vie, luxueuse ou modeste, qui nous éloignerait constamment de notre bibliothèque dévoreuse d’espace. Mais rassurez-vous : malgré les slaloms entre des livres et documents en périlleux équilibre pour atteindre mon bureau ou mon ordinateur, je n’en suis quand même pas encore arrivé à la situation de ce vieil homme, croisé quand j’étais adolescent, qui avait cédé son lit à ses livres et passait la nuit assis sur un fauteuil…