Flânerie d’un dimanche à Tbilissi. J’observe un homme, qui passe devant une église. Il s’arrête, se tourne vers la porte de l’édifice, se signe au milieu des passants, puis poursuit son chemine. — Trois jours plus tard, dans l’avion qui décolle de Tbilissi. Les deux sièges voisins du mien, sur ce vol Aeroflot, sont occupés par deux Géorgiens d’âge moyen et volubiles : ils ne cesseront de converser durant tout le voyage. Alors que l’appareil s’élance sur la piste, l’un des deux suspend un instant la conversation et fait un signe de croix.
Ces gestes par lesquels un croyant exprime de façon claire — mais naturelle, sans pose et sans ostentation — sa foi dans l’espace public sont devenus moins communs dans une bonne partie de l’Europe occidentale, mais on les rencontre plus souvent dans les pays méridionaux du continent. Un peu pour ne pas déranger, un peu par retenue ou gêne, la foi ne se montre plus trop ouvertement : les croyants s’adaptent à un environnement dans lequel les signes individuels de piété au quotidien semblent désormais confinés à l’espace privé.
C’est loin d’être le cas partout. Nombre de souvenirs me viennent à l’esprit, observés dans différentes régions du monde. Des jeunes qui semblent parfaitement « modernes » et ordinaires, dans les rues d’une ville, et qui s’arrêtent pour prier — voire s’agenouiller — devant un temple ou une église, avant de retourner à leurs activités. Une vieille dame qui ne parle pas ma langue, pour laquelle je tiens la porte ouverte à la sortie d’une station de métro, et qui s’arrête pour faire sur moi un signe de croix pour me remercier. Ou encore ce vif souvenir, il y a une quinzaine d’années, du compartiment d’un train qui traversait l’État indien de l’Andhra Pradesh. J’étais le seul Occidental, les autres occupants étaient des Indiens, hommes d’affaires ou commerçants, en discussion animée dans leur langue. C’était l’heure vespérale. Soudain, ils cessèrent de bavarder et commencèrent à réciter ensemble, durant plusieurs minutes, des prières hindoues, avant de revenir en toute simplicité à leur conversation, sans même me prêter attention. J’en fus tellement frappé que je m’emparai aussitôt de la Bible que j’avais dans mon sac et commençai à lire doucement des psaumes…