Les chauffeurs de taxi parisiens continuent d’être une source d’inspiration pour ces billets! Je me trouvais à nouveau dans la capitale de la France, cette semaine, invité à présenter une communication à l’occasion du colloque annuel de l’Institut supérieur d’études œcuméniques (ISEO). Le dernier matin du colloque, l’évêque d’un diocèse de l’Île-de-France était l’un des conférenciers.
L’après-midi, ma valise lourdement chargée de livres ne me laisse d’autre choix que de demander un taxi pour rejoindre la gare. La conversation s’engage avec le chauffeur, qui évoque ses nombreux voyages. Un peu intrigué, je finis par lui demander s’il accompagne ses passagers jusqu’à leur destination finale? Il éclate de rire et me révèle qu’il est chauffeur de taxi la semaine, mais organiste les autres jours. Il est donc invité pour donner des concerts en Europe et sur d’autres continents. Et, arrêtant son véhicule devant la gare, il me montre, sur son téléphone mobile, une photographie devant son orgue, de taille imposante. À son domicile? Non, m’explique-t-il: c’est l’instrument de la cathédrale de laquelle il est l’organiste titulaire.
En entendant le nom de la ville, je dresse l’oreille: c’est à mon tour de surprendre mon interlocuteur en lui expliquant que, le matin même, j’ai entendu une conférence prononcée par l’évêque dont cette cathédrale est le siège!
Il y a plus de 17.000 taxis en région parisienne: je ne pense pas que beaucoup de ces chauffeurs de taxi sont également organistes professionnels. Mais, surtout, la probabilité de participer le matin à un colloque lors duquel parle l’évêque d’un diocèse catholique français et, l’après-midi, d’avoir pour chauffeur de taxi l’organiste de la cathédrale dans laquelle célèbre cet évêque me semble infime. Hasard peu commun — ou providence, comme le suggérait à juste titre ce chauffeur de taxi au profil inhabituel.
Au fil de mes voyages, je ne compte plus ces rencontres improbables et/ou providentielles. Même dans un pays aussi vaste que l’Inde, où cela m’est arrivé à plusieurs reprises. Un jour, par exemple, j’avais passé deux nuits hébergé dans une école privée catholique dans une localité de montagne du Tamil Nadu, où j’allais rechercher les traces d’un voyageur du XIXe siècle — sans avoir prévu de me rendre dans cet établissement, mais parce que le directeur de l’hôtel où j’avais séjourné la semaine précédente, au Kerala, était un ancien élève de cette école et m’avait proposé d’en utiliser la chambre d’hôtes. Arrivé en fin d’après-midi, je trouvai les responsables de l’école en train de prendre le thé, qu’ils m’invitèrent à partager avec eux. Apprenant que je travaillais sur de nouveaux mouvements religieux, ils mentionnèrent incidemment que le dentiste de l’école était le disciple d’un gourou alors peu connu. Or, sans que mes interlocuteurs le sachent, l’une des prochaines étapes de mon voyage était l’Andhra Pradesh, où je souhaitais visiter le centre de ce mouvement, mais sans savoir exactement où il se trouvait: je sortis de mon sac les quelques documents que j’avais amené avec moi sur ce groupe. Une rencontre fut aussitôt organisée avec le dentiste et, grâce à de précises indications d’itinéraire, cela me permit de trouver sans difficulté, quelques jours plus tard, l’endroit isolé que je désirais atteindre, à quelques centaines de kilomètres de là. Dans un pays de plus d’un milliard d’habitants, la probabilité d’une telle succession non planifiée de rencontres me mettant sur la bonne piste était très faible — et ce n’est pas le seul exemple.
Ce n’est donc pas simplement la magie de l’Inde: en Europe comme ailleurs, nous vivons finalement dans un tout petit monde.