Dans les années 1980 et 1990, quelques dizaines de milliers de Falashas (ou Falachas), ces juifs noirs d’Éthiopie, ont été transportés vers Israël, notamment lors de la fameuse Opération Moïse, arrivant dans une société bien différente de la leur et de leurs traditions spécifiques. Il y aurait aujourd’hui quelque 120.000 Israéliens d’origine éthiopienne: principalement des Falashas, mais aussi plusieurs milliers de Falash Mura, non juifs affirmant descendre de groupes de Beta Israel (“maison d’Israël”) et acceptés après conversion.Les Falashas, en revanche, avaient été reconnus comme juifs et donc non soumis à la conversion.
Les Falashas avaient un clergé, porteur d’un turban blanc et maintenant des coutumes uniques par rapport aux autres branches du judaïsme. Au total, 58 kessim (“anciens” falashas) seraient venus en israël, indique Daniel Estrin (Associated Press) dans un article récent (18 janvier 2012). Mais le Rabbinat les considérait avec suspicion: les kessim suivaient certes la Torah, mais la “loi orale” juive et les traditions rabbiniques leur étaient en effet complètement étrangères; le rabbinat insistait donc pour qu’ils ne puissent officier en tant que rabbins, par exemple pour des mariages, qu’après avoir passé un examen démontrant une connaissance de la loi orale. Finalement, en 1992, après des protestations de centaines de juifs éthiopiens durant deux semaines devant les bureaux du Premier Ministre, un accord fut atteint: les kessim qui suivraient un programme de formation durant un an, seraient autorisés à célébrer des cérémonies de mariages ainsi que des divorces avec effet légal; ils recevraient aussi un salaire et seraient intégrés dans les conseils religieux des zones à forte population d’origine éthiopienne.
Les clercs éthiopiens vieillissant, ils ont commencé à ordonner des personnes plus jeunes. Ce qui n’a pas du tout plu au Rabbinat. A nouveau des manifestations et protestations: le mois dernier, rapporte Estrin, le ministère des Affaires religieuses a décidé d’appliquer une décision gouvernementale de 2010 et de reconnaître 13 kessim, qui recevront un salaire de l’État. En revanche, les rabbins l’ont clairement annoncé: ce seront les derniers à jouir de ce statut. Cela ne va sans doute pas empêcher de nouvelles générations de kessim d’essayer de maintenir la flamme tant bien que mal.
Parmi les juifs d’origine éthiopienne, certains ont complètement fait le pas et ont adhéré au judaïsme conservateur, dont des représentants avaient soutenu les revendications des Falashas (huit juifs éthiopiens avaient été ordonnés comme rabbins juifs conservateurs en 2001) – ou au judaïsme orthodoxe. Interrogé par Estrin, un rabbin juif orthodoxe d’origine éthiopienne dit son respect pour les kessim, mais estime qu’ils ont fait leur temps: “Après 2500 ans d’isolement d’avec le peuple d’Israël, nous sommes revenus. Nous devons maintenant trouver un moyen d’être un seul peuple.” Ceux qui veulent poursuivre la tradition du judaïsme éthiopien, ajoute-t-il, doivent recevoir une formation rabbinique. Ce qui ne va probablement pas empêcher de nouvelles ordinations: les kessim non reconnus, explique Estrin, célèbrent des noces selon leurs coutumes après les mariages “légaux” devant des rabbins orthodoxes.
C’est ainsi que, arrivés en “terre promise”, les Falashas voient leurs traditions séculaires s’éteindre lentement, ou se transformer en profondeur — ce qui pourrait déboucher, à la longue, sur un judaïsme “standardisé” (ou plus de réelle pratique religieuse, pour bien des jeunes), avec le maintien d’un échantillon de traditions qui, dans quelques générations, ne relèveront peut-être plus que d’une nostalgie folklorique.