Le dynamisme de l’action diplomatique turque depuis quelques années, sous la direction d’Ahmet Davutoglu, et les soubresauts du “printemps arabe” ont placé au premier plan la Turquie ainsi que le “modèle” qu’elle pourrait (ou non) offrir pour des pays de la région. Dans l’excellente revue mensuelle de prospective Futuribles (N° 379, novembre 2011), Jean Marcou, professeur à l’Institut d’études politique de Grenoble, consacre un article aux “multiples visages du modèle turc”.
Car ce n’est pas la première fois, rappelle-t-il, que la Turquie est mise en évidence comme “modèle”. Tout d’abord, dès les années 1920, il y eut le modèle du “pays musulman laïque modernisé”, promu en Europe en ignorant souvent les spécificités du laïcisme turc. Avec la guerre froide, renouvellement du modèle: la Turquie devint “pays musulman, fidèle allié de l’Occident et bon élève de la démocratie libérale” — non sans quelques contradictions, avec la crise chypriote et de successifs coups d’Etat, qui virent l’image du pays se dégrader (des films tels que Midnight Express et Yol y contribuèrent, souligne pertinemment l’auteur). Enfin, les événements du printemps 2011 ont popularisé un nouveau modèle turc autour d’une supposée alliance réussie de l’islam et de la démocratie.
Cette nouvelle image est indissociable des transformations profondes intervenues en Turquie avec “les succès électoraux, économiques et diplomatiques de l’AKP depuis 2002”. Grâce à un nouvelle politique étrangère et à un important rayonnement économique régional, le regard des pays arabes sur la Turquie a changé. Cependant, note Jean Marcou, c’était surtout le succès turc que l’on a célébré dans le monde arabe jusqu’en 2011: les transformations intervenues depuis n’ont pas moins surpris la Turquie que les pays occidentaux. Les dirigeants turcs ont finalement su prendre le tournant et continuer ainsi de jouir d’une image de marque positive, mais se doivent de rester prudents pour ne pas susciter des soupçons de “néo-ottomanisme”. Et il n’est pas facile de satisfaire tout le monde: rappelons que, au mois de septembre 2011, lors de la visite d’Erdogan en Egypte, certains militants islamiques, qui l’avaient accueilli en héros, avaient été quelque peu refroidis par son éloge d’un Etat séculier, qui n’est pas nécessairement non religieux, mais respecte toutes les religions (Elaph, 16 septembre 2011, traduit par Mideastwire).
Enfin, Jean Marcou souligne l’importance qu’est en train d’acquérir, pour le rayonnement de la Turquie, la coopération au développement, illustrée par les efforts déployés dans la Corne de l’Afrique.