Il y a quelques jours, en randonnée, j’ai croisé un couple de cyclistes sur un sentier étroit. Je leur cède le passage, ils posent pied à terre et nous échangeons quelques mots sur l’itinéraire et les lieux à visiter dans la région. Après quelques minutes sur des sujets touristiques, l’homme m’interroge : « Êtes-vous prêtre ou pasteur ? » Je lui réponds que non : je suis historien, mais il n’est pas tombé très loin, puisque mes recherches ont principalement porté sur des thèmes religieux.
Cela m’arrive dans des contextes et pays variés. La supposition la plus fréquente est que je suis un enseignant. En seconde position, assez loin derrière, surgit le soupçon que je pourrais être un prêtre ou un pasteur. Je comprends la première hypothèse : cela peut tenir à une façon de parler et d’expliquer ; si mes charges d’enseignement ont représenté une activité accessoire pendant plusieurs années, sans être l’essentiel de mon travail, il est vrai que j’ai donné d’innombrables conférences depuis les années 1980, ce qui présente des similitudes. Il est plus difficile de deviner pourquoi des inconnus pensent que je suis un ecclésiastique. On pourrait certes incriminer ma barbe — mais je doute que la majorité des nombreux barbus que nous croisons aujourd’hui ont droit à la même question. En outre, cela m’arrivait aussi il y a trente ans, quand ma barbe était taillée très court et pas encore blanche. (Sans oublier — dans un autre registre — ces adeptes d’un groupe néo-hindou, dans les années 1980, qui m’avaient déclaré leur conviction que j’étais la réincarnation d’un pasteur anglican du XIXe siècle.)
Enseignant ou ecclésiastique : à défaut d’une identification exacte, des personnes qui me voient pour la première fois, sans savoir quoi que ce soit de moi, perçoivent bien quelque chose qui se trouve dans le champ de mes activités et intérêts. Aurions-nous donc « la tête de l’emploi » ? Cela me rappelle un souvenir. À la fin des années 1970, alors que j’étais étudiant, le tenancier du très modeste hôtel dans lequel je descendais lors de mes passages à Paris me parlait d’un récent attentat et du difficile travail de la police pour prévenir des actions terroristes. En plaisantant, je lui dis qu’il fallait se méfier de tout le monde : après tout, comment pouvait-il savoir que je n’étais pas moi-même un terroriste ? « Oh non, s’écria-t-il. Vous n’avez pas du tout la tête d’un terroriste. » Je lui fis remarquer que si tous les terroristes avaient une « tête de terroriste » et tous les criminels « une tête de criminel », le travail de la police en serait grandement facilité. Enseignant ou homme d’Église, mais certainement pas terroriste… si j’ai vraiment « la tête de l’emploi », je ne m’en sors pas trop mal.